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Mère catholique, père juif : école laïque. CA Douai, 28 août 2014, 14/05205

Le 14 novembre 2014

L'espèce :

Un enfant de trois ans est préinscrit par sa mère, catholique, dans une école privée sans l'accord du père, de confession juive. Invité par la mère à régulariser l'inscription, le père qui avait été assuré de l'absence de prosélytisme catholique au sein de l'école, prend connaissance du règlement intérieur qui lui avait été caché jusqu'alors et découvre qu'il exige des parents qu'ils s'engagent à accepter l'éveil de l'enfant à la foi catholique et aux valeurs de l'Eglise. Le père s'oppose dès lors à l'inscription et propose que l'enfant soit scolarisé dans l'école publique voisine. Saisi à jour fixe, le Juge aux affaires familiales près le Tribunal de Grande Instance de Lille occulte la question religieuse et autorise l'inscription de l'enfant sollicitée par la mère, au motif que le père n'aurait pas fait connaître son opposition assez rapidement, confirmant ainsi son accord, ni démontré la supériorité qualitative de l'école de son choix. La Cour d'appel de Douai infirme la décision :

 

"Attendu, en application de l'article 373-2-11du Code Civil que lorsqu'un désaccord oppose les parents quant à l'une des modalités d'exercice de l'autorité parentale, il appartient au juge de prendre une décision compte tenu de l'intérêt de l'enfant, apprécié au vu d'un ensemble d'éléments dont, notamment, la pratique précédemment suivie... ou les accords pris à ce sujet... Qu'en l'espèce, les parents sont de confessions différentes et n'ont pas manifesté le souhait d'inscrire leur enfant dans l'une ou l'autre des religions... que le dossier d'inscription... comporte une fiche des engagements à signer rappelant que l'école est une école chrétienne catholique et mentionnant que les parents acceptent la participation à l'éveil à la foi et le respect des principes fondamentaux de l'Eglise catholique... Que dans ces conditions, l'intérêt de l'enfant est d'être scolarisé dans des conditions ne faisant pas primer les convictions religieuses de l'un des parents sur celle de l'autre ; que l'école publique et laïque offre à cet égard des gages de neutralité religieuse".

 

 

Si les différends liés à l'opposition des parents quant au choix de l'école sont récurrents, ils ne sont qu'exceptionnellement fondés sur la différence de religion des parents. Rien d'étonnant à cela : on continue en France de se marier entre soi, de telle sorte que l'endogamie religieuse demeure la norme[1], tandis que le recul des pratiques religieuses rend ces questions moins prégnantes. S'agissant de la question religieuse, les interventions du juge demeurent donc essentiellement cantonnées aux désaccords parentaux touchant aux actes inscrivant l'enfant dans la religion de l'un de ses parents (circoncision, baptême[2]), aux dérives sectaires ou aux pratiques radicales rendant nécessaire la modification de son lieu de résidence ou du droit de visite[3]. Les décisions relatives à la scolarisation restent à l'inverse extrêmement rares, étant rappelé qu'en vertu de la loi de 1905, l'enseignement en France est laïque même si les parents peuvent, dans l'exercice de leur autorité parentale, faire choix d'une école confessionnelle. L'inscription de l'enfant devient alors un acte grave[4] supposant l'accord des deux parents et, à défaut, l'intervention de la justice qui résout le litige en recherchant l'intérêt de l'enfant en application de l'article 373-2-6 du Code Civil. On pourrait croire dans une telle hypothèse de disparité de culte à une faveur de principe de la justice pour l'option laïque, l'intérêt de l'enfant pouvant s'apprecier in abstracto comme justifiant qu'aucune prépondérance ne soit accordée à une religion au détriment de l'autre. Il n'en est pourtant rien et c'est par une stricte application des principes de l'article 373-2-11 du Code Civil que les juridictions se prononcent invariablement, déduisant systématiquement l'intérêt de l'enfant de la pratique antérieure des parties et de leurs accords préexistant. Tel est le cas de la décision infirmée et de son arrêt de réformation, même si leur appréciation des faits diverge, comme des décisions rendues alors que l'opposition à l'inscription ne résulte pas d'une disparité de culte, mais d'un rejet de l'école choisie par l'autre parent[5] ou de raisons plus prosaïques, telles que le coût de la scolarité par exemple[6]. Dans la présente affaire c'est, in concreto, parce qu'il a estimé que la pratique des parties lui paraissait confirmer leur accord que le juge du fond a validé l'inscription de l'enfant en école privée ; de la même façon, c'est parce qu'elle a considéré que les pratiques préexistantes lui semblaient prouver l'absence d'accord que la Cour d'appel de Douai a, dans son pouvoir souverain d'appréciation, décidé du contraire puisque c'est au motif de l'absence de volonté des parents d'inscrire l'enfant dans leurs religions respectives ("il n'est pas baptisé") et de ce que la mère n'ignorait pas que le père était opposé au choix d'une école prosélyte que la juridiction a estimé nécessaire d'assurer à l'enfant la neutralité religieuse que seule l'école laïque est en mesure de lui garantir. L'intérêt de l'enfant réside donc, hors hypothèses exceptionnelles, dans le statu quo ante, ce qui conduit d'ailleurs la justice à adopter parfois la solution inverse à celle retenue par la Cour d'appel de Douai : la Cour d'appel de Paris a ainsi refusé l'inscription en école publique lorsque les parents, pourtant de confession différente, avaient du temps de la vie commune inscrit les enfants dans une école privée catholique[7]. Quid néanmoins du statu quo ante s'agissant de l'enfant qui aurait été inscrit par chacun de ses parents dans sa propre religion, baptisé et circoncis, ce qui se trouve loin d'être une hypothèse d'école ?



[1]P. Simon et V. Tiberj, sécularisation ou regain religieux : la religiositédes immigré