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A législation inachevée, justice en déroute...

Le 23 septembre 2014

Le 14 octobre 2013, le TGI de Lille rendait la première décision autorisant l’adoption plénière[1] d'un enfant - issu d’une AMP avec tiers donneur pratiquée en Belgique[2]- par l'épouse de sa mère. Cette décision, rendue possible par la loi du 17 mai 2013[3], doit être mise à l’actif d’une juridiction qui s’était déjà illustrée en autorisant dès 2005 la délégation d’autorité parentale au sein d'un couple homosexuel[4]. La juridiction lilloise a depuis lors autorisé d’autres adoptions aux couples de femmes mariées sans recevoir d’avis défavorable d'un ministère public pourtant pleinement informé du recours par les adoptantes à un mode de procréation qui ne leur est pas ouvert par la loi française[5]. La loi nouvelle n’a cependant pas reçu la même application dans toutes les juridictions : le parquet a émis un avis défavorable à Aix-en-Provence, Toulouse ou Marseille, estimant que la conception de l’enfant par AMP à l’étranger serait constitutive d’une fraude à la loi[6]. Si la juridiction Toulousaine est passée outre cette opposition, le TGI de Versailles a rendu le 29 avril 2014[7], en l'absence d'opposition du parquet, les premières décisions refusant d’accorder ladoption à un couple de femmes mariées en raison du mode de conception de l’enfant. A situation identique, la règle de droit a donc connu une application distincte, créant une insécurité juridique qui doit inciter le législateur à achever l’œuvre qu’il a entamée par la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe.

 

La lettre des jugements rendus par le Tribunal versaillais laisse percevoir une opposition idéologique à l’adoption sollicitée et la quête d’arguments juridiques à opposer à celle-ci : la juridiction, qui n'a plus la possibilité de s'opposer à l'adoption au motif qu'elle estimerait la constitution d’une famille homoparentale contraire à l’intérêt de l’enfant, se rabat sur un raisonnement en analogie avec celui qui motive les décisions rendues en matière de filiation des enfants issus d'une GPA, faisant référence à une fraude à la loi dont les conditions ne sont pourtant pas remplies en l’espèce. Car si la loi française prohibe expressément la GPA[8], tel n’est pas le cas de l'AMP : organisée par les articles L. 2141-2 CSP, elle n’est effectivement pas ouverte aux femmes seules ni aux couples de même sexe mais ne leur est pas expressément interdite et y recourir n’est pas constitutif d’une infraction pénale. Le fait que le Conseil Constitutionnel ait rappelé en date du 17 mai 2013 (N° 2013-669, considérants 44 et suivants) que l’AMP n’était pas ouverte aux couples homosexuels n’en fait pas d’avantage une disposition d’ordre public et ne permet pas non plus de fonder l’existence d’une fraude à la loi. La juridiction versaillaise s'est également appuyée sur l'existence d'une atteinte au principe d’égalité devant la loi entre les couples d'hommes et de femmes. Cependant, là encore, la juridiction oublie que si la loi doit être la même pour tous, les différences physiologiques constituent une différence objective de situation justifiant son application distributive, sans qu’il y ait atteinte au principe d’égalité : si à situation juridique identique - le mariage - les époux doivent bénéficier des mêmes droits - être autorisés à adopter, avoir recours à l'AMP... - il n’est pas possible de supprimer leurs caractéristiques sexuelles : l'IVG n'est ainsi ouverte qu'aux femmes sans que cela porte atteinte au principe d'égalité. C’est le sens à donner à la décision rendue par la CEDH lorsqu’elle « n’admet aucune différence de traitement pour des personnes bénéficiant d’un même statut de droit »[9] et c’est à l’inverse, le fait de réserver l’AMP avec tiers donneur aux couples hétérosexuels ou d'interdire aux couples de femmes mariées la constitution d'une famille juridique qui constitue une rupture dans l’égalité des individus bénéficiant du même statut de droit, ce que n’a pas relevé la juridiction versaillaise. Cette décision fait enfin fi de l’intérêt de l’enfant, qui veut que ses liens avec son « parent d’intention » soient établis et ce en dépit de l'existence d'alternatives telles que celle de l’article 371-4 dans sa nouvelle rédaction[10], qui permet le maintien des relations au delà de la séparation mais sans offrir la sécurité d’un lien de filiation, notamment au plan successoral. Plus grave, elle pourrait inciter le ministère public à contester, en application de l’article 336 du Code Civil, la filiation de l’enfant que sa mère aurait conçu, seule ou en couple avec une autre femme, par AMP réalisée à l’étranger, contestation incontestablement contraire à l’intérêt de l’enfantmais conforme à la philosophie qui a présidé à l’adoption de la décision versaillaise.

 

S’il y a donc eu application stricte de la loi par la juridiction lilloise, la décision versaillaise apparaît comme une manifestation de résistance judiciaire à l'application d'une loi nouvelle. Cette insécurité juridique ne saurait perdurer et il semble peu vraisemblable que de telles décisions soient confirmées par la Cour d’Appel de Versailles, dont il sera rappelé qu'elle a d'ores et déjà résisté à la cour de cassation en autorisant sur renvoi, le 20 mars 2014, l’exequatur du jugement d’adoption rendu par une juridiction galloise au profit de concubins de même sexe[11].

 

Cette affaire doit évidemment déborder la sphère judiciaire et le législateur affronter une question qu’il travaille à étouffer depuis de nombreux mois : le groupe de travail "filiation, origines, parentalité" préconise l’élargissement de l’AMP avec tiers donneur aux couples de femmes, par une modification des articles L 2141-2, 7 et 10 CSP. Il dépasse cette problématique pour proposer la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation, la « déclaration anticipée de filiation » anténatale devant notaire, ensuite transmise à l’officier d’état civil et portée sur l’acte de naissance de l’enfant. Cette proposition tente de palier les inconvénients de l'adoption qui présente certes l'intérêt d’être dénuée d’ambiguïté quant à l’absence de lien biologique entre l’enfant et l’adoptant, mais a prouvé ses limites en cas de séparation du couple auteur du « projet parental » antérieurement à la saisine du Tribunal. La Belgique vient d'instaurer une présomption de coparenté inspirée du modèle québécois, l’évolution du statut du « parent d’intention » y semblant d’autant plus urgente qu’il y est aujourd’hui possible d’implanter l’ovule d’une femme, la mère biologique, dans le corps de sa compagne, la mère légale. Les questions liées à la GPA demeurent en revanche trop clivantes pour que le groupe de travail soit parvenu à un consensus : il s'est limité à demander, a minima, "pour les enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger, la reconnaissance totale des situations valablement constituées, et ce parce qu’il est de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation établie à l’égard de ses deux parents d’intention". Le don de maternité est mentionné dans l’Ancien Testament[12] mais sa transformation en gestation pour autrui ou maternité de substitution a fait exploser un débat idéologique dont la France est coutumière : elle maintient depuis 1994 une « politique de déni » conforme à son ordre public international mais contraire à l’intérêt d'enfants[13] parfois qualifiés d’« orphelins de la République »[14] et conserve une jurisprudence prohibant l’établissement du lien de filiation entre l’enfant issu d’une GPA et ses parents d’intention, aussi bien par l’adoption que par la reconnaissance ou la transcription des actes de naissance et jugements d’adoption étrangers. Cette politique va à rebours de celle adoptée par la Belgique, qui a choisi de faire primer l’intérêt des enfants, qu’elle refuse de priver de lien de filiation[15], sur son ordre public international.

 

Le juge demeure, en matière d’adoption, sur le seuil de la chambre à coucher : la conception de l’enfant lui est indifférente, l’adoptant étant par définition étranger à celle-ci et il ne saurait être question d’exiger du couple homosexuel des preuves plus contraignantes que du couple hétérosexuel.

 



[1] Cette première décision, obtenue par Me Amélie Machez, a fait l’objet de critiques sévères de la part des auteurs opposés au mariage pour tous et à l’ouverture de l’adoption aux époux de même sexe. Conf. C. Neirinck, Droit de la famille, janvier 2014, p. 15 et GP, décembre 2013, n°345 à 346, « les enfants des épouses lesbiennes », p. 5.

[2] L. Brunet, Assistance médicale à la procréation et nouvelles familles : boîte de pandore ou corne d’abondance, RDSS 2012, p. 828 et B. de Boysson, L’assistance médicale à la procréation pour les couples homosexuels : quelle perspective ? Droit de la famille, juillet-août 2013, p. 35 : 14 pays autorisent l’AMP aux couples de femmes.

[3] L. 2013-404, 17 mai 2013, JO 18 mai 2013, p. 8253.

[4] La Cour de Cassation n’a consacré cette possibilité que par un arrêt du 24 février 2006. Voir également C. Mécary, Délégation partage de l’autorité parentale au sein d’un couple homosexuel : évolution jurisprudentielle, AJ famille 2011, p. 605.

[5] La difficulté avait été annoncée par P. Murat, L’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe… ou l’art de se mettre au milieu du gué, DF, juillet-août 2013, p. 30.

[6] TGI Marseille, 9 décembre 2013.

[7] Nous remercions particulièrement celui qui nous a permis la lecture de ces décisions.

[8] La GPA a été expressément interdite par les lois bioéthiques de 1994, l’adoption de l’article 16-7 CC et 227-12 CP. Ces dispositions sont d’ordre public.

[9] CEDH, 19 février 2013, X c/ Autriche. I. Théry, Mariage de même sexe et filiation, Paris, EHESS, 2013, pp. 103-104. H. Fulchiron et C. Bidaud-Caron, Dans les limbes du droit, D. 2013, 2349.

[10] AJF, février 2014, p. 118.  

[11] B. Haftel, Réception en France des adoptions homoparentales prononcées à l’étranger : épilogue ?AJF, avril 2014, p. 237.

[12] Genèse, 16.

[13] Filiation, origines, parentalité, rapport du groupe de travail, 2014.

[14] F. Chenedé, Et demain, la gestation pour autrui ? DF, juillet-août 2013, p. 40.

[15] La Belgique autorise également l'établissement de la filiation incestueuse à l'égard des deux parents.