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Actualité législative et jurisprudentielle du changement de sexe

Le 20 août 2016

Le droit civil français se caractérise par l’absence de dispositions légales en la matière. La loi ne fixe pas de conditions et la construction est purement jurisprudentielle.

 

C’est donc en application des articles 9 et 57 du Code Civil (droit au respect de la vie privée et mentions de l’acte de naissance) et 99 à 101 (rectification des actes de l’état civil) qu’a été organisée la construction jurisprudentielle qui depuis deux arrêts rendus le 11 décembre 1992 de la cour de Cassation, après la condamnation de la France par la CEDH le 25 mars 1992 (affaire Botella) pour violation des dispositions de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui garantit le principe du respect dû à la vie privée, permet au nom du respect de la vie privée le changement d’état civil pour qu’il indique le sexe dont le requérant a l’apparence.

 

Il est également possible de demander le seul changement de prénom, avec une appréciation au cas par cas de l’intérêt légitime, sans changement de sexe[1].

 

Les arrêts de 1992 exigeaient un traitement médico-chirurgical : « lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à sa vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence » (Cass. Ass ; plén., 11 décembre 1992, 91-12.373 et 91-11.900).

 

La jurisprudence exigeait donc une opération dite de « réassignation sexuelle », au titre du « traitement médico-chirurgical », outre différentes conditions (suivi psychiatrique pour cause de transsexualisme, soumission à un traitement médical dans un but thérapeutique, apparence conforme au comportement social du sexe modifié.

 

La jurisprudence a connu une évolution progressive, certaines juridictions considérant que les exigences posées par la cour de cassation visaient essentiellement à démontrer le caractère irréversible du processus de changement de sexe, avec notamment l’administration de traitements hormonaux modifiant de manière irréversible l’apparence physique de la personne.

 

La jurisprudence était cependant partagée, avec des juridictions exigeant une opération de changement de sexe et d’autres pas (Paris, 13 mai 2008, RG 07/00119). Par ailleurs, certaines juridictions exigeaient une expertise en sus des pièces produites, d’autres pas.

 

Le changement de prénom sans changement de sexe était par ailleurs diversement apprécié par les juridictions (RJPF, septembre 2010, p. 14).

 

Suivant décret du 8 février 2010, le transsexualisme a disparu de la liste des troubles névrotiques sévères et des troubles graves de la personnalité énoncée à l’annexe de l’article D322-1 du Code de la sécurité sociale.

 

Le 25 mars 2010 (Rép. Min. 10128, JO Sénat, p. 762) pour indiquer qu’une « opération ne doit pas être systématiquement exigée pour la reconnaissance du changement de sexuation. Ce qui importe, c’est que le demandeur apporte la preuve qu’il a suivi des traitements médico-chirurgicaux (hormonothérapie, chirurgie plastique…) ayant pour effet de rendre irréversible le changement de sexe et de lui conférer une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe qu’il revendique ».

 

Le 31 mars 2010, le Comité des ministres de l’Europe a adopté une recommandation aux Etats membres sur les mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Elle a notamment recommandé que « les conditions préalables, y compris les modifications d’ordre physique, à la reconnaissance juridique d’un changement de genre soient régulièrement réévaluées afin de lever celles qui seraient abusives (recommandation CM/Rec(2010)5)

 

Pour tenter d’harmoniser la jurisprudence, est intervenue une circulaire du 14 mai 2010 (CIV/07/10) relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil, pour relever le caractère divers des pratiques judiciaires et relever que, selon le lieu ou sera déposée la requête, l’expertise sera ordonnée ou non, le juge disposant du pouvoir souverain d’en apprécier l’opportunité en vertu des dispositions de l’article 144 CPC.

 

Cette circulaire a donc enjoint aux présidents de juridiction qu’il soit donné un avis favorable à la demande de changement de sexe dès lors que « les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés le cas échéant à des opérations de chirurgie plastique (prothèse ou ablation des glandes mammaires, chirurgie du visage) ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. Vous veillerez également à ne solliciter d’expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur. Dans tous les autres cas, vous fonderez votre avis sur les diverses pièces, notamment les attestations et comptes rendus médicaux qui engagent la responsabilité des praticiens les ayant établis ».

 

Cependant la jurisprudence est demeurée fluctuante et les exigences, propres à chaque juridiction (absence d’opération, expertise): il n’est pas anodin de rappeler sur ce point que le demandeur pourra choisir d’intenter la procédure devant le TGI (article 1047) de son lieu de résidence ou de son lieu de naissance (article 1048 CPC).

 

L’expertise demeure ordonnée par de nombreuses juridictions (conf. Rennes, 7 juin 2011, 10/03953), qui se contente d’autoriser le changement de prénom sur le fondement de l’article 60[2], mais pas de sexe, en présence d’un requérant ayant refusé de s’y soumettre.

 

Dans un arrêt du 7 juin 2012, (10-26.947), la Cour de cassation a indiqué qu’il appartenait au demandeur au changement de sexe d’établir la réalité du syndrome transsexuel et le caractère irréversible de la transformation de son apparence.

 

Les conditions du changement de la mention de sexe ont ensuite été fixées par 4 arrêts de la cour de cassation, posant le principe de l’exigence d’un diagnostic du transsexualisme et de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence physique.

 

Par les arrêts du 13 février 2013, elle a affirmé que les conditions posées au changement d’état civil « se fondent sur un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes, d’une part, de protection de la vie privée et du respect dû au corps humain d’autre part (Cass., 1e civ., 13 février 2013, 12-11.949 et 11-14.515) et rappelé le caractère impératif de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence, sans qu’il soit possible de déterminer sa position sur la nécessité d’une opération.

 

Un avis de la commission nationale consultative des droits de l’homme du 31 juillet 2013 sur « l’identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l’état civil » rappelle que l’élément d’irréversibilité apparaît comme un élément permettant de déroger au principe d’indisponibilité des personnes, mais soulève l’absence de définition claire de la notion d’irréversibilité et les difficultés de preuve qu’elle induit, outre le recours exagéré aux expertises et s’est interrogée sur les améliorations à apporter au système actuel.

 

La juridiction lilloise et la Cour d’appel de Douai sont restées longtemps rétives à un changement de sexe sans opération de réassignation de genre, nonobstant l’avis favorable du parquet (TGI Lille, 23 juin 2011, 10/08758 et CA Douai, 24 septembre 2012, 11/05509).

 

Elle l’accorde en cas d’opération (8 juin 2015, 14/10881) et ordonne une expertise systématique à défaut (15/01522, 8 juin 2015).

 

Elle a sur ce point été rappelée à l’ordre par la Cour d’appel de Douai qui, par un arrêt du 17 mars 2016, a rappelé que « le succès d’une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance suppose que le requérant établisse la réalité au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, du syndrome transsexuel dont il est atteint ainsi que du caractère irréversible de la transformation de son apparence… qu’il ressort de l’avis de la commission consultative des droits de l’homme du 27 juin 2013 que s’affirmer homme ou femme ne relève pas d’une décision arbitraire, conjoncturelle ou fantasmatique, mais est toujours lié à une conviction profonde qui est souvent ressentie dès l’enfance et relève bien de l’identité, que les fréquentes demandes d’expertise, qui ne sont pas toujours justifiées, font peser un soupçon sur cette conviction qui ajoute une cause de souffrance psychique aux préjugés dont sont souvent victimes les personnes concernées. Qu’il est désormais admis que le caractère irréversible de la transformation qui est exigé peut être tenu pour acquis par l’effet des traitements hormonaux modifiant définitivement le métabolisme et d’intervention de chirurgie plastique, malgré l’absence (liée à des risques médicaux ou à d’autres difficultés, pécuniaires par exemple) d’une opération de réassignation sexuelle (ablation des organes génitaux) » : sur cette base, la Cour d’Appel de Douai autorise le changement de sexe sans opération et sans expertise (15/03850).

 

Un amendement a été déposé dans le cadre du projet de loi JXXI, visant à « démédicaliser » la procédure de changement de sexe. Voté le 19 mai par l’assemblée nationale, il prévoyait que la demande soit désormais portée devant le procureur de la république à qui tout document utile sera remis, sans obligation médicale, avec une saisine du TGI en cas de doute.
Le ministre de la justice, dans un souci de « sécurité juridique », a proposé des changements, par le biais de trois sous-amendements :

  • La requête devra ase faire devant le      tribunal de grande instance, non devant le procureur.
  • Elle suppose « une      réunion suffisante de faits » démontrant l’appartenance      sincère et continue au sexe opposé à celui mentionné dans l’acte de      naissance.
  • « Le      seul fait de ne pas avoir subi des      traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne      pourra fonder un refus de      faire droit à la demande », indique également le texte tel que      réécrit par le gouvernement

Les personnes transsexuelles (qui ont subi des transformations physiques pour changer de sexe) et transgenres (qui vivent avec le sentiment d’appartenir à l’autre sexe que celui de leur naissance) n’auraient plus à apporter la preuve « irréversible et médicale d’une transformation physique » pour changer d’état civil. Mais démontrer l’appartenance sincère et continue au sexe opposé à celui mentionné dans l’acte de naissance par « une réunion suffisante de faits ».

 

Le TGI de Tours a, le 20 août 2015, admis la mention « sexe neutre » sur l'acte de naissance d'une personne intersexuée, sur la base des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée, « lequel englobe l'intégrité physique et morale de la personne, mais aussi son identité sexuelle ». La décision relève qu’en droit interne, il n’existe aucune disposition faisant obstacle à la reconnaissance de cette mention et fait choix de la mention « sexe neutre » et non pas de la mention « intersexe » qui apparaît plus « stigmatisante ». Le ministère public a relevé appel de la décision (TGI Tours, 20 août 2015) qui a été réformée par un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016 (15/03281) ayant indiqué que « un juste équilibre doit être recherché entre la protection de l’état des personnes qui est d’ordre public et le respect de la vie privée » et que la demande ne peut être accueillie « en ce qu’elle est en contradiction avec l’apparence physique et le comportement social du requérant, la reconnaissance d’une nouvelle catégorie sexuelle, sous couvert d’une rectification de l’état civil dépasse le pouvoir d’interprétation de la norme du juge judiciaire ». [3]Il n’appartient qu’au législateur de créer, le cas échéant, un « troisième sexe », comme l’ont fait les Pays Bas ou le Royaume Uni[4].


L'acte de mariage du mari transsexuel n’est pas modifié et ne fait pas mention du changement de sexe, suivant une jurisprudence rendue toutefois à une époque où le mariage n’était pas autorisé aux personnes de même sexe, de même que les actes de naissance de ses enfants (CA Rennes, 16 oct. 2012).

 

 

[1] CA Toulouse, 3 août 2000, CA Lyon, 4 juin 2009.

[2] « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom »

[3] Il est à noter qu’il incombe à l’officier d’état civil d’indiquer le sexe de l’enfant et, en cas de doute, de demander qu’il soit procédé à une détermination chromosomique de son sexe. Dans l’attente des résultats de l’expertise, la circulaire du 28 octobre 2011 précise qu’il est possible de ne porter aucune indication.

[4] J.R. BINET « Sexe neutre : un utile rappel à la loi », DF, mai 2016, étude 8.