Convention de Montpellier : discours du bâtonnier, du président du CNB et du Garde des Sceaux (extraits), 30 octobre 2014
Allocutions, convention de Montpellier, 30 octobre 2014 (extraits)
Luc Kardashian, Bâtonnier de Montpellier :
Madame Le Ministre, J'ai été soulagé de votre arrivée, vous avez mis fin au tout carcéral, à la politique sécuritaire. Je partage vos valeurs, j'ai suivi les agressions racistes dont vous avez fait l'objet. Vous avez bien répondu à ceux qui jouaient dangereusement avec des mots qui métastasent. Depuis le début de la mandature, on n'a cessé d'annoncer votre départ : nous étions entrés dans le débat avec vous, mais vous êtes restée... mais le chantier, lui, est resté un chantier. Nous n'avançons ni ne reculons sur l'aide juridictionnelle, mais nous continuons à travailler, nous, sans une rémunération correcte et les versements de fonds aux Carpa demeurent aléatoires, fragilisant les CARPA. Considérez le sens des responsabilités qui sont les nôtres, notre profession s'est ouverte à la modernité, aux nouveaux champs du droit. Certes, l'aide juridictionnelle n'est portée que par une partie d'entre nous, mais les meilleurs d'entre nous continuent d'y intervenir et nous donnons les moyens qui garantissent la continuité de l'engagement e assurons l'image de la justice. Qui peut soutenir le projet de loi rendu public la semaine dernière ?
Jean-Marie Burguburu, Président du CNB :
Madame Le Ministre,
Je vous apporte mon remerciement pour votre action, malgré les critiques infondées dont vous avez fait l'objet, mariage pour tous, réforme pénale, attaques racistes, et la profession qui n'est pas forcément toujours derrière vous, sera toujours avec vous pour lutter contre l'obscurantisme. La profession souhaite vous poser des questions et ils attendent des réponses. Sur l'aj, son financement et sa gouvernance. Nous sommes passés d'un rapport invisible à un rapport contesté. Le Bouillonnec a terminé son rapport et vous l'avez présenté à la presse lundi dernier. Il a fallu, pour en arriver là, plusieurs mouvements de grève nationale et un mouvement de grève sur la voie publique. Ce que nous y avons trouvé, c'est un présupposé inexact : il qualifie l'aj de politique nationale, à double vocation politique et sociale. Mais il s'agit de l'obligation qui pèse sur l'état d'assurer l'accès à la justice à tous les citoyens et non d'une obligation dont les avocats seraient les débiteurs, ils n'en sont que les exécutants. Un point positif figure dans ce rapport : le financement complémentaire demandé par les avocats qui semble acquis et figure dans le budget par la revalorisation des droits fixes, taxes sur les actes d'huissier, prélèvement sur le FIDA, taxation des contrats d'assurance, mais on est loin du budget nécessaire, mais il marque un progrès et je vous remercie. La solidarité interbarreau, en revanche, pose problème, elle est inacceptable. Enfin, l'oxymore, la contribution volontaire obligatoire de solidarité… Rien sur les montants de l'aj, sur l'aj correctement rémunérée. Il y a en plus une condition à la négociation, celle de l'acceptation préalable de cette CVOS et il n'en est pas question. Les barreaux bouillonnent. Les grèves éclatent. Car en matière de solidarité, les avocats n'ont pas de leçon à recevoir et nos régimes de retraite abondent ceux qui sont déficitaires. La seule sous rémunération de l'aj est une marque de solidarité qui s'exprime, contre notre gré. Oui, le CNB peut gérer les fonds, mais il ne sera pas le percepteur interne de la profession, pour prendre chez les uns de quoi payer les autres. Cherchons ensemble d'autres solutions, mais la situation est grave, alors que s'ouvre un nouveau front contre la profession, qui est en guerre contre le projet macron (réforme des professions réglementées et suppression de la postulation). Vous avez certes protesté contre Montebourg en lui opposant qu'il ne pouvait seul réformer les professions dépendant de votre ministère, et bien que notre profession soit la moins réglementée des professions réglementées, le projet provoque la colère. La méthode est inacceptable dans un pays démocratique. La profession est traversée de courants divers et l'ag sur la question a été houleuse. Le cheval soigné par deux palefreniers meurt de faim. Inquiétude, car après un vote clair du CNB, un projet est prévu pour le 15 décembre avec un projet de texte qui circule depuis une semaine, et qui est inacceptable sur tous les points. En vrac : la suppression de la postulation remettrait en cause l'existence des petits barreaux et donc la présence des avocats sur tout le territoire, avec la création de déserts judiciaires, l'ouverture au financement extérieur supprimerait l'indépendance des avocats comme en Grande Bretagne, la suppression du contrôle de l'ouverture des bureaux secondaires, la création de l'avocat en entreprise, contre laquelle le CNB a voté et qui s'analyse en un dévoiement de la profession en France. La profession ne peut pas rester taisante sur les risques qu'elle court avec ces projets, qui sont envisagés sous l'angle purement économique, en méconnaissance totale des intérêts de la profession et des justiciables. Projet nuisible et mortel pour la profession. Idée d'énarque, qui n'est précédée d'aucune étude d'impact, qui suppose que le système parisien doit régir la France entière. Idée qui méconnaît l'existence du ministère de la justice, et il faut retirer ce projet et discuter sereinement d'une modernisation de la justice, dans les territoires que les énarques ne connaissent pas. Les avocats ne sont pas rétifs à l'évolution de leur profession, ils s'adaptent et évoluent,
mais pour autant on ne transformera pas les avocats en machines à conseiller et à plaider en face de machines à juger, le facteur humain est essentiel, d'autant plus que 35% de la profession est en difficulté. Mme la Ministre, défendez nous. Il faut sauver la présence du droit sur l'ensemble du territoire, il ne faut pas créer de déserts judiciaires comme il y a on le sait des déserts médicaux. La question de l'accès au dossier des avocats sera tranche par la commission, le projet de loi relatif à la loi contre le terrorisme doit être assortie de garanties, enfin le secret professionnel doit être préservé, de même que celle des écoutes des conversations professionnelles des avocats avec leurs clients. Sans les avocats, c'est la démocratie qui est en danger et je sais que vous partagez ce point de vue et nous attendons la règle, nouvelle et forte, qui doit émaner du législateur.
Christiane Taubira, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Les fuites d'un texte de loi ne sont jamais accidentelles et il n'est pas celui qui engagera le gouvernement. Je connais vos impatiences, vos exaspérations, et je vous propose de commencer par un tour des sujets les plus importants. René Char disait que l'esprit du château fort, c'est le pont levis. Il est facile de prendre le ministre de l'économie comme cible et vous avez le droit d'être en désaccord, mais laissez grandir les ministres. Je vous remercie de votre implication dans le projet J21, sur lequel je vais revenir brièvement : le guichet unique a débuté, par exemple à Dunkerque. La réforme de la procédure d'appel vous concerne. Vous êtes concernés par la réforme de la médiation et le la conciliation, par la simplification de la procédure civile, il faut travailler sur les délais, la communication électronique, l'acte de procédure d'avocat, mesure à laquelle vous êtes attachés et qui est présent dans le rapport de monsieur Delmas Goyon. Nous allons organiser les TGI en pôles et lancer des partenariats avec les universités autour de la jp. Certains ont considéré que ce n'était pas une grande réforme. Elle l'est, mais sans brutalité. Elle est méticuleuse et pointilliste.
La réforme du droit des obligations se fera par ordonnance. Il faut un droit suffisamment prévisible, cela fait 10 ans que la réforme est en chantier, nous avons enfin osé l'aborder par la loi de simplification. Nous n'aimons pas les projets de loi d'habilitation mais ce dispositif semblait nécessaire et j'ai proposé au parlement des projets de loi suffisamment élaborés pour que le parlement comprenne que nous respectons les principes.
L'AJ doit être une grande politique de solidarité. la puissance publique doit faire l'effort, quand elle affiche des principes, de mettre en oeuvre les actions de politique publique qui permettent de rendre ces principes et ces valeurs tangibles pour les citoyens. Vous en êtes les acteurs incontournables, l'aj doit assurer l'accès à la justice pour tous, elle s'inscrit dans la démocratie. Nous avons deux sujets à aborder : le budget de l'Etat, chaque année, et la réforme du système. L'AJ est dans le budget de l'Etat et augmente chaque année, de 10% cette année, 379 millions d'euros (mais les missions aussi), nous avons supprimé la démodulation et créé des ressources nouvelles. Le problème de la démodulation, c'est qu'il avait été fixé au niveau le plus bas. Le rapport Le Bouillonnec est un guide d'action et non pas un simple constat, comme les précédents. Dans un panier de ressources, nous avons pu abonder de manière diversifiée l'aj. Je sais que ça ne suffira pas, je peux faire comme les autres gardes des sceaux en reconduisant une ligne, chaque année. Je prends plutôt le risque d'essayer de réformer l'aj et je répète que je ne réformerai pas contre vous, et sans brutalité. J'ai bien entendu que vous refusiez d'accepter le marché que l'on vous propose pour entrer dans la négociation : si vous le refusez, vous aurez peut-être loupé le seul garde des sceaux qui ose s'y attaquer et en concertation. Certains osent dire que ma méthode n'est pas efficace car depuis 2 ans, nous n'avons pas abouti. Mais j'ai pourtant placé le doublement de l'aide juridictionnelle comme objectif, nous avons diversifié les ressources. Nous n'avons pas encore pu revaloriser l'UV et remonter le plafond de ressources et les champs de contentieux, mais il faut trouver les ressources. Or l'Etat n'est pas en capacité, aujourd'hui, de financer ce doublement. Je vous propose de travailler sur des pistes, on nous répond de prélever sur les contrats d'assurance, mais ce sont les citoyens, alors, qui paient (oui, mais pourquoi prendre sur nous ?). Il faut diversifier les ressources. Je vais vous reparler du principe de la contribution de la profession, qui avait été accepté par les autres professions. Je sais que vous me répondrez non, mais la profession est composite. Certains cabinets ne font pas d'aj, parce que leur activité ne touche pas une clientèle concernée. Les petits barreaux en font 84%, en revanche. Je propose donc qu'on fasse contribuer les gros cabinets qui n'en font pas, soit 300 euros par an. Vous n'en voulez pas, soit. Je vous laisser imaginer le risque que vous prenez en disant nous et en ne disant rien. Vous me reprochez l'absence de débat autour du rapport Carre Pierrat : mais je vous ai dit très vite que je n'en tiendrai pas compte, que je vous le ferai parvenir mais qu'il n'y avait pas lieu d'en discuter et c'est pourquoi je vous ai demandé l'embargo.
Le projet de loi activité et croissance : la méthode de la fuite, qui n'est jamais accidentelle, est critiquable, elle affaiblit l'Etat de droit. J'ai toujours veillé à votre information en temps réel. C'est mon devoir de préserver votre profession. Sur la suppression de la territorialité, il y a des arguments favorables comme défavorables. Il y a une volonté de la part du ministère de supprimer la territorialité, je m'interroge, je sais que le barreau de paris n'est pas sur la même ligne que le CNB. Il affirme que ce sont des frais en moins (ce qui est contestable). Le vote se fait unanimement contre les bureaux secondaires. Je m'impose le devoir de prudence s'il y a un risque et il me faut des éléments pour apprécier celui-ci, sur les différents territoires. Cela ne justifie pas que l'on écarte le texte. Le risque est là, au-delà de la question de la postulation, c'est le maillage. Je ne veux pas prendre le risque de voir se dissoudre ou se réduire les barreaux dans certaines parties du territoire, je veux le maintien de votre présence, c'est essentiel pour tous les justiciables, y compris pour ceux qui ne sont pas vulnérables. Je voudrais une territorialité qui s'étendrait à la cour d'appel. Je vous rappelle que vous pouvez refuser de discuter, mais sur la table, il y a autre chose, je défends mes convictions mais il faut prendre conscience du risque. L'avocat en entreprise porte atteinte à ce qui fait votre profession, votre indépendance. Il faut s'interroger sur la contrainte qu'on imposerait aux avocats. Sur la question des capitaux, vous n'avez pas d'objection aux interprofessionnalités, mais vous êtes réticents sur l'introduction des professionnels du chiffre, et vous refusez l'introduction dans vos capitaux de tiers qui viendraient menacer vos règles déontologiques. Il faut nous apporter les précisions dont on a besoin pour comprendre les raisons exactes de votre opposition. Cette profession est essentielle pour la démocratie et l'état de droit, nous ne devons pas prendre de risque et votre thématique confirme que vous n'êtes pas sur la défensive, vous avez raison d'affirmer que votre idéal c'est l'accès au droit pour tous, l'accès à la justice pour tous, il faut renforcer les fondations de la démocratie. Ce pont levis, vous devez le relever quand c'est nécessaire, mais vous devez l'abaisser pour ouvrir le dialogue.
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