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Délégation partage au profit des deux parents sociaux : une jurisprudence à encourager !

Le 04 avril 2022
Délégation partage au profit des deux parents sociaux : une jurisprudence à encourager !
Le Tribunal judiciaire de Paris a autorisé, le 7 janvier 2022, la délégation partage de l'autorité parentale au profit des conjoints des parents biologiques dans un contexte de coparentalité, avec l'a

Le droit français a créé la délégation partage, désormais largement ouverte aux parents de même sexe et qui laisse subsister l’autorité parentale du ou des parents délégants.

La loi no 2002-305 du 4 mars 2002, relative à l'autorité parentale, a en effet permis l'utilisation du mécanisme de délégation pour permettre un partage de tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale pour les besoins de l'éducation de l'enfant (C. civ., art. 377-1).

Cette délégation-partage réalise un dédoublement des prérogatives liées à l'exercice de l'autorité parentale au profit du ou des délégataires. Dès lors, et à la différence de la délégation prévue par l'article 377, la délégation-partage n'a pas pour effet de priver le délégataire de son autorité parentale sur l'enfant. Parent et beau-parent codécident de la vie de l'enfant.

Cette délégation partage est prévue à l’article 377-1 du code civil qui dispose que « le jugement de délégation peut prévoir, pour les besoins d'éducation de l'enfant, que les père et mère, ou l'un d'eux, partageront tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale avec le tiers délégataire ».

Il convient ici de préciser que la délégation ne concerne que l'exercice de l'autorité parentale et non la titularité.

Le partage de l'exercice de l'autorité parentale pour faciliter l'organisation de la vie de l'enfant, notamment dans le cadre de familles recomposées, est subordonné à la condition de l'accord de l'autre parent s'il exerce l'autorité parentale. Toutefois, l'accord des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, et par hypothèse du tiers délégataire, n'est pas suffisant pour entraîner le partage de l'autorité parentale qui doit faire l'objet d'une décision du juge aux affaires familiales.

L'article 377-2, en vertu duquel « la délégation pourra, dans tous les cas, prendre fin ou être transférée par un nouveau jugement, s'il est justifié de circonstances nouvelles », est applicable au partage de l'exercice de l'autorité parentale de l'article 377-1, alinéa 2.

Plusieurs décisions ont validé cette délégation partage dans le couple de même sexe (Civ. 1re, 24 févr. 2006, no 04-17.090  , Bull. civ. I, no 101 ; D. 2006. 897, note Vigneau   ; D. 2006. Pan. 1139, obs. Granet-Lambrechts   ; AJ fam. 2006. 159, obs. Chénédé  . – V. égal. FULCHIRON, Parenté, parentalité, homoparentalité, D. 2006. Point de vue 876   ; Dr. fam. 2006, no 89, obs. Murat ; dans le même sens : TGI Lille, 11 déc. 2007, no 06-05.918, AJ fam. 2008. 119   ; RTD civ. 2008. 290, obs. Hauser   ; RLDC 2008. 41. – Paris, 5 mai 2006, RG no 03/41602, AJ fam. 2006. 333  ) et depuis l’année 2010, la délégation partage au sein du couple de même sexe ne pose plus difficulté et se trouve clairement assimilé à un moyen d’assurer la protection du lien, les juges du fond semblant se montrer désormais plus ouverts et admettent la délégation partage en se fondant essentiellement sur le fait que la prise en charge de l'enfant est concrètement partagée. Ainsi, la cour d'appel d'Agen a admis une délégation partage au bénéfice de la concubine de la mère dans une décision du 2 février 2012 (RG no 11/00530), estimant que les éléments produits établissaient la réalité de la prise en charge partagée de l'enfant, de l'existence d'une vie commune et stable depuis plusieurs années, et l'existence de circonstances particulières, notamment l'indisponibilité professionnelle de la mère (V. dans le même sens, Paris, 1er déc. 2011, RG no 11/06495, AJ fam. 2012. 146  ).

Outre l'accord de l'autre parent, il faut encore que « les circonstances l'exigent », suivant condition posée par l'article 377, alinéa 1er du Code civil et étendue par la Cour de cassation à la délégation-partage. Cette condition est appréciée de façon assez aléatoire.

La jurisprudence a ainsi pu considérer que la délégation-partage était possible au sein d'un couple de même sexe en l'absence de filiation paternelle établie (Cass. 1re civ., 24 févr. 2006, n° 04-17.090 : Bull. civ. I, n° 101). Le risque d'un accident plaçant la mère dans l'incapacité d'exprimer sa volonté concernant les enfants a justifié qu'elle puisse partager son autorité parentale avec sa partenaire. La Cour de cassation consacrait ainsi la famille homoparentale pour la première fois, s'agissant de l'exercice de l'autorité parentale. En revanche, dans un autre arrêt aux faits proches (Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, n° 09-12.623 : JurisData n° 2010-011139. – Confirmée par CEDH, 6 févr. 2018, n° 6190/11 : JurisData n° 2018-005699), la Cour de cassation a estimé que les circonstances justifiant la délégation-partage n'étaient pas réunies : certes, l'enfant n'avait pas de père, mais les risques d'un accident de la mère étaient trop hypothétiques. À cela s'ajoutait le fait que « les requérantes admettaient elles-mêmes qu'elles ne s'étaient pas heurtées à des difficultés particulières pour pouvoir jouer auprès des tiers ou de leur entourage familial le rôle de parents qu'elles entendaient se reconnaître mutuellement ». Cette décision illustre la casuistique en la matière, de sorte qu'il est délicat d'envisager en quoi consiste réellement ce critère des « circonstances ». D'ailleurs, les juges du fond l'appliquent de façon très aléatoire afin de faciliter le prononcé de la délégation-partage.

Cependant, il s’agit de décisions anciennes et la position des juridictions semble avoir évolué sur ce point. Le TJ de Lille, le 23 février 2016, 15/011989, considère que ces circonstances résultent du fait que le défaut de statut juridique de la compagne de la mère la prive de la possibilité d’accomplir les actes juridiques nécessaires. 

Le tribunal de grande instance de Paris, le 22 février 2013 (Paris, 22 févr. 2013, RG no 12/35092 ), a accepté la délégation de l'autorité parentale sollicitée par le père et la mère de l'enfant, au bénéfice de la compagne de cette dernière.

Plus récemment, le tribunal judiciaire de Paris vient d’autoriser une délégation partage au profit des deux conjoints des coparents (TJ Paris, 7 janvier 2022, 20/037273 et 20/03273), avec l’assentiment du parquet qui a considéré que « la situation de fait doit être entérinée juridiquement, dans l'intérêt de l'enfant ».

 

Dans les récentes décisions parisiennes, le juge mentionne simplement que « les circonstances précitées exigent qu'il soit fait droit à la demande », en présence d’enfants dont les deux liens biologiques existent.

Aurélie LEBEL, avocat, Lille, droit de la famille, des personnes et du patrimoine